Le Monte-charge, de Marcel Bluwal

 


Posté le 15.10.2015 à 11h17


 

Marcel Bluwal. Prononcez son nom et l’on vous renvoie fissa aux temps héroïques de l’unique chaine publique. Ils étaient quatre mousquetaires : Claude Barma, Claude Loursais, Stellio Lorenzi, et Marcel Bluwal donc, qui ferraillaient dur pour apporter, au plus grand nombre, la culture. Une de ses adaptations théatrales aux partis pris radicaux, Dom Juan ou le Festin de pierre, (1965), inscrit durablement le nom de Bluwal dans la légende de la télévision pionnière.

 

 

Pourtant, il y a une vie avant la télévision, ( après, c’est moins sûr). Ainsi de Bluwal qui, en 1962, remplace au pied levé le grand Clouzot trop occupé. Celui-ci lui cède l’adaptation d’un scénario épatant de Frédéric Dard, tiré d’un de ses récents ouvrages. Soit Robert - Robert Hossein période pré-bondieuseries, sa beauté latino-grec et cafardeuse, encore empreinte des fébrilités du jeune homme – de retour d’un « long voyage », ( pour de plus amples précisions, voyez rue de la Santé ), erre dans les rues d’Asnières. C’est Noël. ( Frédéric Dard détestait Noël pour ce que cette fête suppose de déceptions auprès des enfants et de leurs attentes non exaucées). Il croise Marthe. Une féminine étrange, féline et sage tout à la fois, qui remonte son manteau léopard jusqu‘au menton pour se protéger du froid. Il est troublé, on peut le comprendre. Elle est si troublante cette beauté transalpine, (Léa Massari débarquée de L’Aventura d’Antonioni), qui inocule un peu de la magie cinéma dans cette banlieue grisâtre. Une banlieue poissée de la pluie qui poudroie au dessus d’un pont enjambant la Seine. Mais la Seine c’est aussi, à l’époque, le nom de ce département où Robert n’est plus autorisé à poser un pied. Il y est revenu pourtant, visiter l’appartement de ses souvenirs que sa mère, morte trois ans plus tôt, a déserté. Robert est maintenant seul au restaurant et cette italienne qui dîne, à la table d’à côté, accompagnée d’une enfant si taiseuse qu’on la dirait bâillonnée, le paraît tout autant. Un regard, un seul, suffit à les rapprocher. Déjà on les retrouve tous trois au cinéma et lorsque Robert pose, à la façon d’un tueur, sa main sur l’épaule de Marthe, on sent qu’il n’attend que son heure.

Il va devoir attendre ! « Mais vous vous foutez de moi. Tout à l’heure vous ne vouliez pas parce qu’on était chez vous, maintenant on est chez vous et vous voulez bien ! Alors qu’est-ce que vous voulez ? ». Pour comprendre son exaspération, il convient de préciser qu’entre temps ils sont allés chez lui et qu’elle s’est, à nouveau, dérobée ! Elle lui déclare alors : « Mon mari est avec sa maitresse, c’est pour ça que je n’aime être ni seule, ni chez moi ». Mais elle l’attire encore et c’est reparti pour un tour de manège ! En l’occurrence un monte-charge plus ou moins précis dans sa sélection des paliers mais àla mécanique aussi bien huilée que l’implacable scénario.

Donc, revenus dans l’appartement, le mari de madame git sur le canapé pistolet en main, et, même si la petite est censée dormir profondément, le sapin enguirlandé est délesté du cadeau que Robert, auparavant, avait fixé pour elle sur une des branches. Il s’en passe des choses durant leur allers retours ! ( la bande-son, elle aussi, semble jouer au yo-yo ; tout spécialement quand la part belle est donnée aux figurants du fond de champ, soudainement volubiles mais pas moins insignifiants). Cependant, du fait de sa présence illégale dans le département, Robert ne peut prendre le risque d’une possible accusation de complicité et doit poliment quitter la scène.

Intrigué, par cette femme qui, à la fois, boit de la Chartreuse en déclarant ne pas l’aimer tout en écoutant de la musique « brésilienne » qui, à l’écoute, sonne mexicaine, il revient à la nuit. Décidé à y voir plus clair, il rode auprès de ce monte-charge cliquetant qui n’est pas sans évoquer les cintres d’un théâtre de la cruauté. Dès lors, il en voit assez pour susciter la confession de cette latine particulièrement maboule dont on taira ici le machiavélisme par respect pour les heureux spectateurs qui se présenteront dimanche matin, à la séance de 11heures au Pathé Bellecour.

Disons simplement qu’elle à un faible pour le mimétisme dès lors qu’il s’agit d’ameublement et que Maurice Biraud, dans le rôle du témoin naïf vendeur de bagnoles américaines vaguement concupiscent, n’est pas pour rien dans le charme suffocant distillé par ce film judicieusement proposé dans le cadre du Voyage dans le cinéma français par Bertrand Tavernier.

Pierre Collier

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Le Monte-charge, de Marcel Bluval (1962, 1h26)

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