Posté le 18.10.2015 à 10h45
De 1944 à 1963, Akira Kurosawa réalisa une série de films aussi fiévreux et énervés que le tempérament du prix Lumière 2015, Martin Scorsese. Scorsese grand admirateur de Kurosawa, tourna d’ailleurs dans Dreams (199), le rôle d’un autre agité : le peintre Vincent Van Gogh. Retour sur des débuts filmographiques déjà exceptionnels car surprenants !
Toho
Fondés en 1932 les studios de cinéma japonais Toho ont produit les films de Mizogushi, Naruse, Ozu….et Akira Kurosawa. Sous le logo vibrant noir et blanc de la firme japonaise, Kurosawa livre une série de 13 films de jeunesse, en noir et blanc, contemporains et historiques. 13 films qui révèlent un auteur.
Transpiration
Kurosawa est un grand cinéaste de la goutte de sueur ! Une réaction physique normale des acteurs de ses films quand on pense qu’ils sont emplis de l’énergie de la jeunesse du cinéaste qui a alors la trentaine. De sa nervosité aussi. Les visages infiniment blancs et humides (donc brillants !) des personnages expriment alors des sentiments puissants provoqués par des situations extrêmes, celle du gangster tuberculeux de L’Ange ivre (1948), pour ne citer que celui-là.
Grimaces
Quand il imagine un film, Akira Kurosawa se demande toujours ce que sa future œuvre donnerait en cinéma muet. En résulte une série de films manga où les expressions de visages toutes dents tour à tour serrées, yeux défaits, sourcils tendus, révèlent mieux que n’importe quels mots, des sentiments intérieurs. Il faut tenter l’expérience de regarder sans le son quelques-uns de ces films ! C’est étonnant.
Epoque
Kurosawa a profondément été un cinéaste de son temps et de son territoire. Si les expressions défaites et les silhouettes penchées vers le sol de ses personnages sont si courants dans les films contemporains du réalisateur, c’est que Kurosawa filme le Japon de la capitulation. Le Japon de l’immédiate après seconde guerre mondiale.
Honte
La grande beauté des films de Kurosawa période Toho, est de se concentrer, de mettre l’accent, sur des sentiments habituellement laissés à la marge. La honte est certainement celui qui domine de très loin ces films essentiels. Honte évidemment d’avoir perdu la guerre, de l’avoir livré du mauvais côté, honte alors de se faire voler son arme pour le flic de Chien enragé (1949), honte d’être malade pour le héros de Vivre (1952). Honte d’être fauché pour le couple d’Un Merveilleux dimanche (1947). Finalement être honteux, c’est déjà une façon d’être humain, accepter de révéler sa faiblesse, commencer à trouver sa solution. Kurosawa filme alors cette honte comme un moteur paradoxal et grand.
Merveille
La grande force du cinéma de Kurosawa est de traiter de sujets lourds sans jamais être assommant, ni accablant. Le secret du cinéaste pour cela est de détourner les objets ou les lieux d’une réalité grise pour les transformer grâce à l’imagination humaine. Dans Un Merveilleux dimanche (1947), un couple sans argent se sent éternellement rejeté par le monde qui l’entoure jusqu’au moment où il décide de s’emparer de ce monde-là et vivre un moment merveilleux. Dans une salle de concert en pleine air et désaffectée, les deux personnages improvisent alors l’un pour l’autre un spectacle qui les enchante, et leur fait oublier un instant le manque. Ils peuvent sourire. Enfin.
Toshiro
Pas de grands cinéastes sans une grande muse. Celle de Kurosawa s’appelle Toshiro Mifune. L’acteur japonais au charisme sensuel mutique de Steve McQueen, traverse en samouraï torride les villages des films historiques de Kurosawa. Mais il fut d’abord un visage contemporain, celui par exemple du flic de Chien enragé (1949) qui court, poursuit, se bat !
Surgissement
Le cinéma de Kurosawa fait aussi la différence par des idées dingues, des plans infernaux de drôlerie et de surprise stupéfiante. Yojimbo (1961) le samouraï voit ainsi surgir un chien primesautier qui trotte avec une main dans sa gueule comme un trophée. Un gangster fébrile et traqué chute. En tombant il se retourne et pulvérise son visage contre la caméra. Un gros plan véritablement fantastique et si moderne de Chien enragé !
Virginie Apiou