Posté le 05.10.2015 à 10h50
DOCUMENTAIRE - Un fils rend, modestement, hommage à son père qui, tout aussi modestement, évoque une carrière pourtant hors du commun. De Rome à Paris, de Rio de Janeiro à Villerville (Calvados), Paul filme Jean-Paul Belmondo sur les lieux de tournage qui ont marqué sa carrière. La Ford Mustang « vintage » qui les conduit, en compagnie de Charles Gérard, second rôle et pote de (presque) toujours, donne le ton : elle est décapotée parce qu’il fait tout le temps beau, comme dans les souvenirs de jeunesse. Et si Jean-Paul a encore quelques difficultés d’élocution, séquelles de l’AVC qui l’a touché en 2001, il a conservé tout son esprit, toute sa mémoire. Et aussi ce rire gouailleur (« eh, eh, eh… ») qui traverse le documentaire comme il aura scandé près de quatre-vingt-dix films et six décennies de cinéma. A quatre-vingt-deux ans et malgré les épreuves, Belmondo aime toujours autant la vie et n’a rien perdu de son sens de l’humour…
A revoir les extraits qui ponctuent ce voyage, à entendre les anecdotes que rapporte l’acteur en gentleman -préférant la douce politesse de l’ironie au ressassement d’un autre « monstre sacré » de ses amis à l’heure du crépuscule- on est frappé par cette élégance : ne jamais se prendre au sérieux, même lorsque l’on fait très sérieusement les choses, l’acteur dramatique, le guignol ou le cascadeur. Et l’on se dit que « Bébel », l’homme et le comédien, a mieux vieilli que d’autres.
Il y a bien sûr ce physique qui, sans être celui du bellâtre, en impose par son aisance, sa souplesse, le regard direct, cette manière très classe d’imprimer une légère distanciation. Tarte à la crème ? Difficile en tout cas de ne pas remarquer la toujours grande « modernité » de ses premières prestations : dans A bout de souffle (1960) évidemment, puis dans Pierrot le fou (1965), où sa nonchalance et son ironie portent la « révolution » stylistique imprimée par Godard. Mais aussi dans les films italiens tournés avec De Sica (La Ciociara (1960), présenté lors de ce Festival Lumière en hommage à Sophia Loren) ou Bolognini (La Viaccia, 1961) : son jeu tout en retenue colle bien à la noirceur de ces tragédies marquées par le néoréalisme. En France, Belmondo sauta avec entrain dans la nouveauté, fut magistral de sensibilité dans Classe tous risques de Sautet (1960), épousa parfaitement le cinéma épuré de Melville avec Léon Morin prêtre (1961), Le Doulos (1962), ou l’Ainé des Ferchaux (1963), malgré les tensions.
Après, dans les années, 1970 et 1980, ce sera tout et n’importe quoi, au sens littéral des termes : il aura tourné des drames, de bons et moins bons films de voyous ou de flics (à qui il fera quitter le costume pour le jeans et le blouson devenu l’uniforme contemporain des policiers), des pantalonnades et des belles comédies (signées De Broca) sur lesquelles la critique fera la fine bouche jusqu’à ce qu’elles soient remises au goût du jour avec les hommages rendus par des « jeunes » comme Dujardin et Michel Hazanavicius dans OSS 117, Rio ne répond plus, (2009). Il se sera pendu à des filins, à des hélicoptères en vol, aura couru sur les toits du métro de Paris ou de l’Opéra : « Avant que Jacky Chan ne fasse ses propres cascades, c’était Belmondo qui les faisait », proclama Tarantino, admiratif de la « supercoolness » de Bebel, lors de l’hommage rendu par le Festival Lumière en 2013. Mais lorsque le fils interroge son père sur toutes ces prises de risques, il répond simplement : « Je n’ai pas le vertige »…
Et derrière cette remarque, on croit percevoir toute la confiance que Belmondo a pu avoir en lui, celle aussi qu’il a faite aux autres et à la vie. Finalement, c’est peut-être cela qui, loin de la nostalgie pour une époque défunte, est le plus agréable dans le regard que propose le documentaire, au fil des rencontres avec ceux qui l’ont côtoyé, aimé ou admiré : l’image d’un homme cultivé qui n’a jamais craint les goûts du « grand public », un comédien qui s’est toujours engagé (parfois fourvoyé) totalement et sans cynisme, qui a réussi à garder le plus précieux de l’enfance, s’est efforcé de cultiver vitalité et légèreté. Le message pourrait bien être indispensable aux temps que nous vivons : n’ayez pas peur.
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