Posté le 14.10.2015 à 9h10
Insiang, Lino Brocka 1976 - Bien avant le prolifique Brillante Mendoza, Lino Brocka fut pendant longtemps le seul grand cinéaste philippin. Sa virtuosité à plonger le spectateur dans un monde, en l’occurrence celui des bidonvilles surpeuplés, est inlassable. Insiang n’est en effet pas seulement le portrait d’une fille belle et pauvre qui n’a d’autre choix que de se montrer redoutable. C’est aussi, et par extension, une vision d’un monde de survie, fait de grandes générosités où chacun se demande comment l’autre va se nourrir. Un monde tracassé enfin par les mêmes grandes préoccupations universelles et transpirantes, celle de l’amour, de ses envies et de ses petites mesquineries.
Des commerçantes conversent sur la grosseur des jambes de l’une. Une suivante s’offusque que la mère d’Insiang puisse vivre avec un homme qui pourrait être son fils. Loin de tout cela, en retrait pudique, Insiang dans ses tenues à motifs tendres et forts, traverse le monde, cherche intérieurement et en permanence à comprendre où est sa place. Quel sort peut lui être réservé ? Ce qui frappe alors c’est la beauté plastique de l’image du film, digne des plus grands photographes actuels d’art contemporain. Cette beauté vive composée de t-shirts de couleurs fortes, de bassines en plastiques énormes, de cieux brouillés sur fond de tôles ondulées, de peaux qui suintent et de nuits tombées dangereuses, tout, absolument tout révèle l’état intérieur changeant de la jeune femme, ses espoirs comme ses peurs tête baissée et surtout surtout ses déceptions. Avoir le droit de ne pas accepter la déception amoureuse et décider de faire le choix de la vengeance fait ainsi basculer Insiang, du film apparemment social d’alors, en une tragédie grecque ancienne et folle. A découvrir absolument.
Virginie Apiou