Geraldine Chaplin, l’humour en héritage

 


Posté le 16.10.2015 à 17h43


 

COMPTE-RENDU - Chaleureuse, taquine, généreuse et infiniment reconnaissante envers ceux qui ont accompagné sa carrière, l’actrice fétiche de Carlos Saura a fait une démonstration de bonne humeur sur la scène de la Comédie Odéon.

 

© Institut Lumière / Photo Olivier Chassignole

 

S’appeler Chaplin et réussir à se faire un prénom. C’est ce qu’est parvenue à faire Géraldine, la « fille à Charlot » comme elle dit. L’accueil que a réservé ce vendredi matin le public du Festival à la comédienne, le temps d’une mémorable master class, atteste d’une popularité jamais démentie au cours de cinquante ans d’une carrière débutée dans les bras d’Omar Sharif dans Docteur Jivago de David Lean. Son premier rôle. Celui qui déterminera la suite. Elle était inconnue et accédait immédiatement à la notoriété.

« Mon père ne m’avait pas franchement encouragé à suivre ses pas, confiait-elle. Il disait savoir la douleur que cela pourrait représenter pou moi ».

Il se trompait. A entendre parler ce petit bout de femme au regard si vif, on a aussitôt compris qu’elle en a surtout tiré toute sorte de plaisirs. « Il faut de la chance pour exister dans ce métier et j’en ai toujours. Aujourd’hui je joue les grand-mères. Et cela me demande un énorme boulot. Ah, ces rides ».

Il fallait l’entendre raconter la tournage de Jivago au milieu des années 60 dans la province de Castille pour réaliser combien le cinéma a changé. « On a tourné 14 mois, par 45 degrés quand l’action était parfois située en hiver. La neige ? Des tonnes de poudre de marbre qui reflétaient les rayons du soleil. Et ajoutaient à la chaleur ambiante… »

En évoquant Omar Sharif, elle joint ses mains pour dire le partenaire délicieux qu’il fut. « Tellement chaleureux. Et il aimait beaucoup les femmes…» Un ange passait, brun, les yeux clairs et portant une spectaculaire moustache.

L’Espagne, elle y resterait. « J’avais un petit copain espagnol alors. On était sous Franco, d’accord. Mais sous le régime de mon père c’était plus corseté encore » dit-elle amusée. Il était très vieille Angleterre sur le plan éducatif ».

Il y eut ce jour où l’attaché de presse de Jivago lui présenta à un jeune réalisateur inconnu avec plein d’idées : Carlos Saura ». Leur premier film ? Peppermint frappé, qu’elle est aussi venue présenter à Lyon. « Il va falloir que je me remémore l’histoire, je jouais deux femmes et je me souviens que le sous-texte était très érotique. La censure espagnole n’a rien vu. Je suis sûre qu’on aurait eu la Palme d'or à Cannes si le Festival n’avait pas été annulé par les manifestations de mai ! »

Amusant, son souvenir d’alors : en ce mai 68, la projection cannoise avait été interrompue par d’autres cinéastes dont Polanski, Godard qui s’étaient rué sur le rideau. Avec Carlos, on tirait dans l’autre sens. J’ai même perdu une dent dans la bagarre. Et je crois bien que c’est Godard qui m’a frappée. En tout cas, j’aime bien croire que c’était lui ». C’est dit avec un sourire qui laisse bien peu de place à la rancune.

Lorsqu’elle se mettait à énumérer les huit films tournés avec Carlos Saura, arrivé à sept, elle calait. Le public alors l’aidait d’une seule voix : « Cria cuervos ! » La bande-annonce diffusée dans la foulée (chanson générique comprise, Porque te vas !) remettait tout le monde dans l’ambiance si chargée de la mélancolie que le film véhicule encore. « Je me souviens qu’Ana (Torrent) la petite du film me détestait, révélait en riant Geraldine. Devenue adulte, nous avons tourné de nouveau ensemble. Et chaque fois qu’on se voit, elle me demande « j’étais comment à l’époque du film » ? Mais je ne lui ai jamais dit combien elle m’avait rendu la vie infernale ». Eclat de rire général.

Hier matin, l’évocation de tous les grands cinéastes avec lesquels elle a travaillé, a donné invariablement chez elle à des hommages sincères, loin du seul souci de se montrer polie. Robert Altman, Pedro Almodovar, Richard Lester… Idem avec ses partenaires, Rock Hudson qui entre les prises dévoilait être un merveilleux couturier. S’il se cachait ? Non, du tout ». Seul Charlton Heston sort un peu chahuté de ses souvenirs. «Je me souviens qu’à la cantine, personne ne voulait s’asseoir à côté de lui, car losqu’il racontait ses souvenirs sans din de Ben-Hur, on ne savait jamais quand ça allait finir ».

Quand on lui demandait son premier souvenir d’avoir vu un film, c’est encore de son père qu’il était question. « Pour mon frère et moi, c’était projection de ses films à la maison. Et un jour on est sortis voir Quo Vadis en salle. En rentrant, très excités avec mon frère: on a dit à papa "tu devrais aller au cinéma parce qu'il y avait des lions des chrétiens de la couleur. Toi tu fais un peu des m…. » Là encore, c’est dit sans méchanceté. C’est la petite fille qu’elle fut qui parle. Une petite fille de 71 ans, dont le regard malicieux continue d’exprimer une envie folle de vivre la vie à cent pour cent.

Carlos Gomez

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