Posté le 15.09.2015 à 10h22
RÉTROSPECTIVE - Après Ida Lupino en 2014, le festival Lumière ouvre une nouvelle fenêtre de sa programmation à une réalisatrice qui a contribué à ancrer la place des femmes dans le 7e art.
Retour, cette fois, dans le cadre de la section « Histoire permanente des femmes cinéastes », sur le travail esthétique et profond, malheureusement oublié, de la cinéaste ukrainienne Larissa Chepitko. Un femme dont la courte carrière, stoppée en plein élan, a marqué l'histoire du cinéma soviétique.
Ses films se comptent sur les doigts d'une main, mais leur force formelle, associée aux intentions pugnaces de leur auteur, lui ont permis de laisser une empreinte indélébile dans l'histoire du cinéma de l'ex-Union soviétique. À une époque où peu de femmes furent en mesure de montrer l'étendue de leur talent, la trajectoire de Larissa Chepitko a détonné ; à l'image des promesses affichées, dès ses prémices, par cette jeune ukrainienne dans le paysage d'un régime dominé par la rigueur et la censure.
C'est revêtue du costume d'actrice qu'elle débute, la vingtaine engagée, son parcours aux côtés du 7e art. À l'Institut du cinéma de Moscou - le VGIK -, elle bascule ensuite, après quelques rôles, de l'autre côté de miroir ; celui de la caméra. Elle se forme à la réalisation, suivant notamment les cours du réalisateur géorgien Mikhaïl Tchiaoureli. Mais c'est en un autre de ses illustres professeurs, le cinéaste ukrainien Alexandre Dovjenko, qu'elle trouve un véritable guide.
Devenu son mentor, Dovjenko pousse Larissa Chepitko à défendre ses convictions coûte-que-coûte derrière la caméra. Ce qu'elle fera, non sans difficultés, tissant jusqu'à sa mort le fil des thématiques qui lui sont chères malgré la censure. Pour cette raison, Le Pays de l’électricité - section du film Le début d'un siècle inconnu, son moyen métrage adapté d'un texte de Tchekov, ne sortira que vingt ans après sa réalisation.
En 1963, elle s'inspire d'un roman du célèbre auteur Kazakh Tchinguiz Aïtmatov pour tourner, à 25 ans, son premier film au Kirghizstan : Chaleur torride. Le long métrage, qui est aussi son film de fin d'études, décrit le climat tendu entre un adolescent et des adultes travaillant dans une steppe. « Raffinement du noir et blanc, photogénie des ciels nuageux et des couchers de soleil, brio des mouvements de caméra » (1) : le film brille par sa mise en scène et préfigure le penchant de la cinéaste pour la nature et les plans épurés. Il décroche un an plus tard le Prix de la meilleure réalisation au Festival national de l'URSS.
Mais c'est avec son quatrième et dernier long métrage, L'Ascension - après Les Ailes (1966) et Toi et moi (1971) -, qu'elle obtient une reconnaissance internationale. À Berlin, en 1977, L'Ascension est couronné de l'Ours d'or. La récompense arrive comme un pied de nez magistral aux motifs de censure qui lui valurent d'être menacé de ne jamais sortir en salle. Chetpiko ancre ce drame sur « l'immortalité spirituelle de l'âme » dans la Biélorussie de 1942 occupée par les Allemands. Il raconte l'histoire de deux partisans russes capturés et forcés de choisir entre collaborer ou mourir.
« Mon film est un voyage vers l’humanité, vers le devenir de l’être humain à l’intérieur des deux personnages », dira la cinéaste à propos du film. « Le problème de l’immortalité de l’âme, dit-elle, était directement lié à ma vie. Il s’identifiait d’une façon curieuse avec ma personne (…). Il s’agit de l’immortalité spirituelle parce que, dans notre siècle matérialistico-technique, la question de l’esprit devient impérative. »
Larissa Chepitko vient tout juste de se hisser au sommet de son art lorsque le 2 juillet 1979, à l'âge de 41 ans, elle est fauchée par une voiture. C'est son compagnon, le cinéaste russe Elem Klimov, qui terminera son dernier projet - le magnifique Les Adieux à Matiora -. Il réalisera l'année suivante une biographie bouleversante de 19 minutes sur son épouse qu'il intitulera très sobrement... Larissa.
B.P.
(1) Marcel Martin, Le cinéma soviétique, 1993, L’Age d’Homme.
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Rétrospective Larissa Chepitko - Films rares, peu vus en France - Copies issues du monde entier