Pierre Rissient
L’amateur éclairant

 


Posté le  29.09.2015 à 11h20


 

PORTRAIT - C’est Clint Eastwood, avec son sens de la concision bien connu, qui définit le mieux ce qu’a été Pierre Rissient dans le monde du cinéma : « Mr Everywhere ». Car le dernier géant du classique hollywoodien sait ce qu’il doit à cette figure inclassable et pourtant essentielle à la cinéphilie mondiale des soixante dernières années : le français fut celui qui, dès les premières mises en scène de l’américain, œuvra à décoller l’étiquette « cow-boy et flic réactionnaire » pour faire reconnaître l’immense réalisateur qu’il est devenu et que célébra le premier Prix Lumière en 2009.

 

 

Les deux hommes ne pouvaient que s’apprécier. Car si Pierre Rissient fut en effet « partout » dans la galaxie du septième art, ce fut toujours en amoureux et en « maverick », ce mot cher à Philippe Garnier et qui, à l’origine, qualifie les animaux qui ne suivent pas le troupeau. Celui de la critique, en l’occurrence, lorsque, dès ses débuts de cinéphile-programmateur au célèbre Mac Mahon de Paris, dans les années cinquante, il défendait les Walsh, Losey, Preminger et Lang, alors ignorés pour certains ou jugés trop « commerciaux » pour d’autres. Ou lorsqu’il tomba raide dingue des Forbans de la nuit (1950), de Jules Dassin, film noir méprisé, et y vit une angoisse existentielle digne de Woyzeck , la pièce de Georg Büchner. Ce fut, dit-il, sa première leçon sur la nécessité de penser et juger par soi-même (préférer, par exemple, Cottavafi à Antonioni et l’assumer, oser juger que Citizen Kane est « sur-côté » par rapport à d’autres films d’Orson Welles comme La splendeur des Amberson). Mais le long métrage de Dassin fut aussi la découverte que des films de genre, policier ou western, pouvaient être des œuvres majeures, ce que Pierre Rissient n’a jamais cessé de défendre, y compris en littérature auprès de la Série Noire de Gallimard ou des polars des éditions Rivages.

Il fut l’assistant de Godard sur A bout de Souffle, devint un redoutable attaché de presse (aux côtés de Bertrand Tavernier), un distributeur, un réalisateur (deux films seulement, mais Cinq et la peau (1982) mériterait d’être redécouvert d’urgence) et un producteur exécutif pour Ciby 2000 ou Pathé. Il fut surtout un précieux dénicheur de talents, autour du monde : Eastwood donc, mais aussi, Schatzberg, Coppola, Tarantino, l’australienne Jane Campion, l’iranien Abbas Kiarostami, le chinois de Hong Kong King Hu pour Touch of zen (1970), le philippin Lino Brocka avec Insiang (1976), nombreux sont ceux qu’il a soutenus et menés jusqu’à la sélection du Festival de Cannes.

 

 

Que ce soit pour vanter les trésors du cinéma muet, sur lequel il est inépuisable, pour défendre le tout récent film d’un Japonais de la diaspora coréenne qui l’a époustouflé (Unforgiven de Lee Sang-il) ou pour insister sur la nécessité de relire Alfred Hayes, un romancier et scénariste américain découvert sur le tard, Pierre Rissient aime, raconte, s’emporte, milite. Mais toujours au nom de l’idée qu’il se fait du cinéma ou de la littérature, ce qui lui aura au moins évité d’être ridicule a posteriori, contrairement à ceux qui, dans les années 1970, régentaient le bon goût au nom de considérations idéologiques lardées d’un fatras sémiologique ou structuraliste.

Bien sûr, cet ours parfois mal léché ne s’est pas fait que des amis dans le milieu et les relations étroites qu’il avait pu entretenir (avec Losey, Lino Brocka ou Jane Campion) en ont parfois souffert. Mais tous ont dit l’immense respect qu’ils avaient pour son « œil » et sa force de conviction. Todd McCarthy, grand critique américain et ancien rédacteur en chef de Variety, lui a consacré un documentaire (Man of Cinéma, 2007), les jeunes cinéphiles de So Film l’ont mis en scène dans une BD en tonton omniscient, le festival de Telluride a baptisé une salle Le Pierre. Et aujourd’hui, Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligmann lui rendent hommage dans Gentleman Rissient, le film projeté pour la première fois au Festival Lumière. Puisqu’il s’agit de passion cinéphile, de patrimoine et de transmission, l’hommage était évident à ce « passeur » hors pair qu’a toujours été Pierre Rissient.

P.S.

---

Pierre Rissient, un passeur au cinéma / Gentleman Rissient, de Benoît Jacquot, Pascal Mérigeau et Guy Seligmann (2015, 58min)

Catégories : Lecture Zen