Sophia Loren : le corps cinéma

 


Posté le  13.10.2015 à 11h10


 

En septembre dernier, à 81 ans, elle a posé en égérie d’une marque de couture et de cosmétique italienne, pour un nouveau rouge à lèvres qui porte son nom. Et sur l’image, on retrouve ces yeux qui pétillent comme pour cacher une lueur de mélancolie, cette bouche qui semble être dessinée en modèle des lèvres parfaites, la grâce des poignets et des longues mains jointes. On sait bien que la chirurgie plastique et les logiciels de retouches photo peuvent faire des miracles, mais quand même : n’en déplaise aux malveillants de la « presse people », Sophia Loren demeure une icône, l’incarnation de la beauté italienne. Et l’hommage que lui rend le festival Lumière avec La Ciociara (1961), le film de Vittorio de Sica inspiré du roman de Moravia, rappellera comment cette grande comédienne sut mettre ce physique à la fois lumineux et généreux au service de son art.

 

 

Ce rôle, qui lui valut le prix d’interprétation à Cannes mais aussi l’Oscar de la meilleure actrice (le premier qui fut décerné à un comédien pour un film non anglophone), est d’ailleurs l’un de ceux où elle est le moins apprêtée. Il annonce ce qu’elle sera, des années plus tard, dans Une journée particulière (1977) d’Ettore Scola, qu’elle dira être le plus beau rôle de sa carrière. Peut-être parce que l’un et l’autre sont proches de ce qu’elle connut enfant, à Pozzuoli, près de Naples, lorsqu’elle grandit pauvre durant la guerre. Sans fard, dans des blouses d’épicière ou de mère au foyer, Sophia Loren est toujours crédible en femme du peuple.

Elle qui disait trouver son « nez trop long, sa bouche trop grande pour son visage trop petit » a pourtant toujours ébloui : Sofia Villani Scicolone, de son vrai nom, avait quinze ans lorsqu’elle remporta le titre de « princesse de la mer » lors d’un concours de beauté. Elle en avait dix-sept lorsque le jury de Miss Italie ne lui accorda qu’un accessit mais créa pour elle le prix de l’élégance. Il avait vu juste : car depuis ses premiers rôles à l’écran (sous son véritable nom ou celui de Sophja Lazzaro entre 1950 et 1953, puis sous son pseudonyme de Loren à partir de Sous les mers d’Afrique et du très kitch Aïda, réalisé par Clemente Fracassi d’après l’opéra de Verdi), elle n’a cessé d’irradier et pour bien d’autres raisons que les jolies formes qu’elle exposait parfois dénudées lors de ses premières apparitions. L’époque la mettra en perpétuelle rivalité avec Gina Lollobrigida, sur le plan de la provocation érotique, mais leurs filmographies respectives n’ont pas grand-chose à voir en terme de qualité.

On a souvent parlé de la présence physique des acteurs comme Marlon Brando (à qui elle donna une réplique magistrale sous la direction de Chaplin, dans La Comtesse de Hong Kong en 1967), ou encore celle de De Niro, cette capacité à offrir tout entier leur corps aux personnages. Mais il faudrait également souligner celle de Sophia Loren qui fut tout sauf une potiche au joli minois. Dire comment, toujours avec la même classe et la même intelligence, elle sut  incarner charnellement, avec un naturel impressionnant, le sens du comique comme du tragique. Des studios de Cinecittà à ceux de Hollywood, dans des drames, des comédies, des films musicaux, tournés aux côtés d’innombrables stars américaines, françaises ou italiennes (Mastroianni, surtout, avec qui elle aura partagé une douzaine de longs métrages), qu’elle joue une roturière de Naples, vendeuse de pizzas, ou une dame de la haute, ses performances vont bien au-delà de la beauté plastique et de cette sensualité toute méditerranéenne. Il suffit de voir la manière dont elle danse (le célèbre mambo dans Pain, amour, ainsi soit-il (1955) de Dino Risi, le sirtaki ou le flamenco ailleurs), la grâce avec laquelle elle s’effeuille devant Mastroianni dans la cultissime scène de Hier, aujourd’hui et demain (1963) de Vittorio De Sica, la rage avec laquelle elle insulte et jette des pierres aux soldats de La Ciociara, le poids du monde qu’elle porte tout au long d’Une journée particulière. Bien plus qu’objet de désir, son corps est le cinéma.

Pierre Sorgue

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