Posté le 28.09.2015 à 11h45
MORCEAUX CHOISIS DE JEAN YANNE - L’histoire du cinéma retiendra sans doute l’acteur, celle de France plus sûrement l’amuseur. Jean Yanne fut un excellent comédien lorsqu’il fut, entre autres, dirigé par Godard (Week end), Chabrol (Que la bête meure, Le Boucher), Pialat (Nous ne vieillirons pas ensemble), Audiard (regarde les hommes tomber). Mais c’est le clown presque triste, celui de ses propres films qui a marqué le grand public.
Quatre millions d’entrées pour Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Pour son premier film comme réalisateur, scénariste (avec Gérard Sire) et dialoguiste, Jean Yanne avait cassé la baraque, en 1972. Puis, pendant dix ans, ses longs métrages aux titres définitifs, Moi y’en a vouloir des sous (1973), Les Chinois à Paris (1974), Chobizenesse (1975), Je te tiens tu me tiens par la barbichette (1978) et Deux heures moins le quart avant Jésus Christ (1982) ont fait rire la France. Le dernier un peu moins : Liberté égalité choucroute (1984) fut un échec commercial retentissant et mit fin à sa carrière de metteur en scène.
Une décennie, donc, pendant laquelle l’humour de l’ancien journaliste passé par les cabarets fit mouche. Parce qu’il répondait, bien sûr, à l’humeur du pays : les espoirs de révolution enfuis, la crise du pétrole avancée, l’apparition du chômage, le feu de paille du « changer la vie » socialiste… La France de Louis de Funès qui avait rit avec bon cœur et optimisme, devenait plus inquiète.
Et Jean Yanne la soulageait. De film en film, il tira sur à peu près tout et promena son personnage désenchanté, voire cynique : « Le rire et la colère c’est pareil, la seule différence est dans le traitement du sujet », disait-il, et ses sarcasmes « d’anarchiste de droite » - genre qui s’est toujours bien porté chez nous - consolaient les déçus.
Du coup, à défaut d’être des modèles de mise en scène, ses films demeurent pour quelques répliques dont certaines sont désormais d’anthologie. Petit florilège thématique :
Sur les politiques :
Dans Les Chinois à Paris, lorsque la capitale est envahie par les asiatiques, le chef de cabinet soumet au président (B. Blier) le discours qu’il doit délivrer aux Français :
« - Qu’est ce que je leur dis ?
- Eh bien, que tout est foutu, Monsieur le Président…
- Bon d’accord mais je leur dis comment ?
- Eh bien, comme d’habitude : Françaises, Français la situation est grave mais pas désespérée, une fois de plus la France doit faire face à des évènements qui exigent de ses concitoyens un esprit d’abnégation… »
Le discours terminé, le président s’engouffre dans un avion qui vole vers l’Amérique.
Dans Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, le consul Demetrius (Michel Auclair) s’adresse au peuple qui gronde :
« - Je vous ai compris ! Citoyens, vous voulez que les impôts baissent, qu’il y ait du travail pour tous, que l’inflation soit stoppée ?
la foule crie son approbation, le consul reprend :
- Nous ne pouvons rien faire pour le moment… Mais dès que nous le pourrons, nous ferons le double ! »
Sur les Français :
Dans Les Chinois à Paris, l’état major de Pékin demande un dossier sur les Français établi par les services secrets chinois qui tiennent les renseignements des services soviétiques qui eux mêmes les ont soutirés aux Américains :
« Les conclusions sont toujours les mêmes : les Français sont les plus grands fumistes du monde… »
Régis Forneret (Jean Yanne) multiplie sans vergogne les affaires avec les forces chinoises : « C’est pas si souvent qu’on a une armée d’occupation chez nous, il faut savoir en profiter… »
Quand il rencontre le Haut Commissaire Chinois il s’offre de le conseiller :
« Si vous permettez, Excellence (…) moi je connais bien l’âme des Français, il y a longtemps que j’en vends, si je puis dire… »
Le Haut Commissaire chinois voit des sacs de la poste s’amonceler devant son QG :
« - Qu’est-ce que c’est que tout ce courrier ?
- Des dénonciations, Camarade Général… »
Finalement la France se libère de l’occupation chinoise grâce au stupre et à la luxure. Le Haut Commissaire demande à l’état major de Pékin de rendre les armes :
« C’est plus possible vous comprenez… Ça fait des siècles que les Français ne font que ça, boire, baiser et bouffer. Aucun être civilisé ne pourrait en supporter le quart, la troupe est épuisée, les cerveaux craquent et les nerfs lâchent… »
Sur les femmes :
Dans Deux heures moins le quart avant Jésus Christ, le consul romain (Michel Auclair) s’agace devant son épouse (Françoise Fabian) qui lui demande de jeter son couturier aux lions pour avoir raté sa robe :
« Ah, Laetitia, ça commence à bien faire, hein ! Il y a deux semaines, on a livré le plombier aux lions, Dimanche dernier, on a crucifié le coiffeur, et maintenant c’est le couturier qu’il faut balancer dans l’arène ! Je veux bien être gentil, mais ça va finir par me rendre impopulaire… »
Alors que Cléopâtre est introuvable, le consul s’en prend au chef de la police qui ne sait pas où elle est mais avoue avoir arrêté à l’aube, une femme accompagnée d’un singe et de deux faucons :
« Mais il sait pas ! Tout le monde sait que Cléopâtre est introuvable, il en trouve une et il est pas foutu de faire la différence entre une reine d’Egypte avec un singe et deux faucons et une pute de banlieue ! »
Sur les médias :
Dans tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, la femme du directeur de la radio dans laquelle travaille Christian Gerber (Jean Yanne), cherche son mari, furibarde :
« - Où est cette ordure ?
- Mais quelle ordure, quelle ordure ? Vous êtes dans une station de radio, il n’y a pratiquement que ça… »
La station, qui cherche à plaire au plus grand nombre décide de vendre la religion à toutes les sauces. De retour de reportage Christian Gerber découvre la nouvelle ligne éditoriale et interpelle le directeur (Jacques François) :
« - Alors qu’est-ce que vous nous préparez ? On a été plus près de la femme, plus près des jeunes, plus près de la nature, plus près du couple, plus près du sexe et maintenant plus près de Dieu ?
- Plus près de Dieu, oui Gerber… Il faut vivre avec les modes de son temps, Gerber… »
Dans Les Chinois à Paris, Grégoire Montclair (Michel Serrault) s’applique à collaborer avant de se lancer dans une résistance tardive et reproche son comportement à Régis Forneret (Jean Yanne) :
« Toute ta vie tu ne t’es livré qu’à des besognes honteuses : journalisme, publicité, films porno, relations publiques… »
Dans Liberté Egalité Choucroute, lorsque Rouget de l’Isle vient présenter sa première version de la Marseillaise dans la salle du Jeu de Paume et la chante sur un air d’Offenbach, Mirabeau (Gérard Darmon) se désole :
« Nul, mais c’est nul, ça ! Tu ferais mieux de te recycler dans la pub… »
P.S.