Chien enragé

Grand admirateur de Simenon, Kurosawa veut réaliser un polar. Il l’écrit tout d’abord sous la forme d’un roman, qu’il adaptera ensuite en scénario. Le tournage est très fluide. Après son départ de la Toho (suite à de nombreux conflits internes, des grèves et un dernier accrochage avec la direction), Kurosawa retrouve au sein de la Shintoho d’anciens collaborateurs partis quelques temps plus tôt créer ou rejoindre cette nouvelle société.

Dès les premières images de Chien enragé, le cinéaste installe une atmosphère oppressante : chaleur, sueur, chien haletant, images de mendiants, de mauvais garçons et de bouges… Le climat de ce film noir est lourd. Captant les battements de la ville, Kurosawa est juste dans ses descriptions.

Grâce à un montage au rythme soutenu, il suit la traque du voleur, devenu meurtrier, par un policier dont l’honneur a été entaché. Et, comme souvent dans ses films, il plonge à la fois dans les bas-fonds de la ville et dans ceux de l’âme humaine. Car le voleur de l’arme est, comme l’inspecteur Murakami, un ancien soldat démobilisé, incapable de s’adapter à la vie civile. Cette figure du double symbolise la frontière ténue entre le bien et le mal dans un pays en pleine reconstruction.

« Sa dimension moraliste, ajoutée au mixage fou entre passages documentaires et prouesses néoréalistes teintées d’expressionnisme pour défricher (déjà) les bas-fonds, fait encore de ce polar un ovni qui transgresse le genre, ou au contraire le ramène à son essence, l’insufflation de la tragédie au cœur des problèmes sociaux. » (Isabelle Potel, Libération, 29 octobre 2004)