Que la bête meure

« Je vais tuer un homme. Je ne connais ni son nom, ni son adresse, ni son apparence. Mais je vais le trouver et le tuer. » Ce sont avec ces mots que Charles, ivre de douleur, débute son journal. Adapté d’un roman policier du poète britannique Cecil Day-Lewis (sous le pseudonyme de Nicholas Blake), le scénario de Chabrol et Paul Gégauff est diabolique. La vengeance comme seule raison de vivre : Que la bête meure est un modèle du genre et une œuvre-phare du maître Chabrol. Tout y est magistral : la mise en scène au cordeau, la peinture d’un milieu petit-bourgeois, la côte bretonne escarpée et âpre, l’interprétation intériorisée de Michel Duchaussoy et celle, infâme et tonitruante, de Jean Yanne. Lorsque Chabrol propose le rôle à ce dernier, l’acteur lui répond : « Je n’y vois pas d’abjection. » Avec attention et amour, le cinéaste décrit lentement «  le monstre dans sa jungle, le chauffard, le tyran domestique, et des zombies qui l’entourent, vidés de leur sang, de leur substance, par sa dictature joviale et épouvantable ». « Yanne réussit cette performance de transformer en quelques instants – et pour toute la durée de son apparition sur l’écran – tout spectateur en assassin potentiel : nouvelle version bien française – et dans un sens plus littéral – de la célèbre formule publicitaire « l’homme que vous aimerez haïr » – au point que la seule invraisemblance dramatique de ce film minutieusement construit est peut-être celle-ci : comment diable personne ne l’avait tué plus tôt ? » (Paul Louis Thirard, Positif, n°109, octobre 1969)