Vivre dans la peur

C’est dans un contexte très particulier que Kurosawa réalise Vivre dans la peur : d’un côté, son ami et compositeur Fumio Hayasaka, très malade, sent la mort arriver, et perd foi en l’homme ; de l’autre, l’atoll de Bikini est le théâtre d’essais atomiques…

Vivre dans la peur est un double portrait. Tout d’abord, celui d’un patriarche qui développe une peur pathologique, face au spectre de la catastrophe nucléaire. Une idée fixe, une peur si vivace, que la folie est sa seule échappatoire. Il met tout en péril : sa santé mentale, la confiance de ses proches et le travail de ses employés. Le jeu de Toshirô Mifune est impressionnant, porteur d’une folie presque paranoïaque : c’est grimé qu’il endosse le rôle de cet homme de 70 ans, alors qu’il n’en a que trente-cinq. Kurosawa offre le reflet d’une population traumatisée, vivant quotidiennement dans l’obsession de la bombe atomique depuis Hiroshima et Nagasaki.

Mais Vivre dans la peur est également le portrait en creux d’une société, celle du Japon d’après-guerre, davantage recentrée sur ses intérêts immédiats que sur le bien d’un peuple. C’est la première fois que Kurosawa s’attaque, avec des accents satiriques, à l’idéologie de la société nipponne, industrielle et bourgeoise. Malgré ses qualités, le film sera un échec commercial, engendrant une grande déception chez son réalisateur.